Le manque à gagner causé par la pandémie dans les finances des sociétés de transport en commun risque d’atteindre les 900 millions d’ici cinq ans, alerte l’Association du transport urbain du Québec (ATUQ). C’est tout le système de financement qui doit être revu, plaide-t-elle.

« C’est gigantesque comme travail, ce qu’on a devant nous », martèle le président l’ATUQ, Marc Denault, en entrevue avec La Presse. Son groupe, qui représente la quasi-totalité des sociétés de transport au Québec, évalue à 560 millions le trou budgétaire des sociétés de transport l’an prochain.

Si rien n’est fait, ce chiffre bondira à 650 millions en 2024. Puis, le trou budgétaire atteindrait 800 millions en 2025, 860 millions en 2026 et 900 millions en 2027. « On n’a plus le choix : il faut trouver des solutions. Ça prend un cadre financier solide pour les cinq prochaines années », affirme M. Denault, qui réclame la tenue de rencontres deux fois par année avec le gouvernement.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’ATUQ

Marc Denault, président l’ATUQ

Devant ce constat, le gestionnaire appelle les autorités à s’adapter rapidement à la nouvelle réalité postpandémique. « Depuis mai 2022, on dit au gouvernement de mettre en place une table de discussion avec tous les acteurs, pour trouver des solutions au mode de financement actuel. Il n’y a jamais eu une seule rencontre, malgré le fait qu’à l’époque, le ministre François Bonnardel s’était montré ouvert à l’idée », dit-il.

« En priorité, on a besoin de beaucoup plus d’argent pour maintenir nos autobus sur la route. C’est la fréquence qui joue le plus pour les usagers, poursuit M. Denault. On sait déjà, après la COP15, qu’on va se faire dire qu’on n’en fait pas assez. Mais il y a une occasion d’agir de façon concrète. »

Selon les plus récentes données de Statistique Canada, les recettes des transporteurs du Québec et de l’Ontario pour la dernière année représentaient 57 % du niveau prépandémique. Au cours des 12 derniers mois, leurs recettes se sont élevées à 1,7 milliard, contre tout près de 3 milliards en 2019.

Un modèle qui « ne fonctionne plus »

Selon l’expert en planification des transports à l’Université de Montréal Pierre Barrieau, ces chiffres montrent que « le modèle de financement ne fonctionne plus, ayant largement démontré sa faiblesse durant la pandémie » de COVID-19.

« Ultimement, c’est vraiment un changement du rôle du gouvernement que ça prend. Québec finance surtout l’immobilisation, mais ça prend un changement direct subventionnaire des opérations. C’est la seule façon avec laquelle on peut arriver à offrir un service qui va nous amener vers la transition énergétique, voire la survie de nos réseaux actuels », explique M. Barrieau.

Ses propos font écho à ceux qu’a tenus lundi le président de la Société de transport de Montréal (STM) qui, devant un trou budgétaire de 78 millions cette année, a lancé un nouveau cri du cœur aux gouvernements.

« Il faut vraiment travailler sur le financement de l’opération du transport collectif. […] Le système actuel n’est pas viable à court, à moyen et à long terme », a évoqué Éric Alan Caldwell.

Mardi, La Presse a rapporté que le gouvernement Legault n’offre pour l’instant aucune garantie. « En ce moment, on a divers modèles de financement de nos projets en transport collectif de façon générale. On est en train de réfléchir à tout ça », a soulevé la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, refusant toutefois de s’avancer davantage. L’élue a néanmoins vanté les aides d’urgence offertes par son gouvernement durant la crise, équivalant à environ 1,4 milliard. Son cabinet n’a pas souhaité commenter davantage la question.

La Société de transport de Sherbrooke (STS) dispose encore d’un surplus d’environ 9 millions qu’elle ne peut même pas utiliser, puisqu’il est justement destiné aux « pertes de revenus » du Fonds d’urgence COVID-19, déplore Marc Denault, aussi à la tête de la STS. « On a une surcharge liée au prix du carburant d’environ 2 millions, et je ne peux même pas l’éponger. C’est un exemple parmi tant d’autres », illustre-t-il.

Une idée pour la capitale

Dans la ville de Québec, le Réseau de transport de la capitale (RTC) a atteint en septembre dernier 81 % de son achalandage prépandémique avec 2,5 millions de déplacements. Ce chiffre s’est maintenu en octobre, représentant 75 % des déplacements par rapport à 2019.

En somme, depuis juin, le RTC se maintient autour de 76 % de son achalandage prépandémique, une moyenne assez semblable à celle du Grand Montréal où, selon l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), les trois quarts des usagers sont maintenant de retour.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Autobus du RTC

La porte-parole du RTC, Raphaëlle Savard, affirme que l’objectif de son groupe est de « terminer l’année 2022 à 80 % de l’achalandage de 2019 ». Les chiffres d’achalandage de novembre du RTC seront d’ailleurs présentés ce mercredi, lors de la présentation de son budget.

À Sherbrooke, 100 % des usagers sont déjà de retour. « On est revenus à plein régime, ici. Dans les cinq dernières années, c’est environ 25 % de bonification du nombre d’usagers. Et l’année prochaine, on anticipe déjà des revenus de 1 million en plus par rapport à 2019, alors qu’on était déjà en progression », confie M. Denault. Dans sa ville, 36 000 des 175 000 résidants détiennent une carte OPUS.